La Loire aime à se regarder, à se pâmer d’aise, elle embrasse le romanesque et, au-delà de ses richesses, elle se veut libre. Dans son long parcours accidenté, sans aide, la Loire s’endimanche, s’enlace et maîtrise une nature qui impressionne et inspire les peintres et poètes. Le fleuve parfois déborde de joie et prend ses aises en échouage sur le flanc des berges grasses. Sa véritable écriture reste charnelle.
La Loire classique par tant de beauté, attire dans son bassin ligneux les éléments, ceux qui trouveront alliance dans l’amour. Au gré des ellipses passionnées, en surface comme en eaux profondes, la Loire offre au brochet, au sandre, ses eaux vives qui tourbillonnent autour des bancs de sable. C’est avec le goût de la découverte, pas à pas, que le fleuve entraîne au plus profond de son ventre, tout près de cette robe de traîne, blanchâtre.
La Loire, soleil dans son spectre de verdure, enfuit le silence des ombres qui ne vivent que dans une liquidité intemporelle. Espace mouvant, sensible, qui refuse la discipline, la Loire inventive invite le promeneur à parcourir ses terrains vagues. Elle est aussi tendresse sur une toile de rêve qui, poussée par une bise du Nord chargée de vapeur d’eau, sublime l’espace, s’infiltre et s’autorise des halos à l’étrange beauté.
La Loire, sans soucis, toujours en beauté, offre à l’artiste le bonheur d’un partage avec la simple mise en place de sa personne. Elle procure de multiples images, celles du Pont Canal où chantent les portées de saumon. En plein effort, revenant de trois ans d’un voyage en Atlantique Nord, les saumons remontent le fleuve Loire pour finaliser leur course amoureuse sur les gravières des Monts d’Auvergne ; ici, le voyage initiatique s’achève.
La Loire, besogneuse, se renouvelle et adopte ses affluents dans un limon de printemps. Souriante, elle s’allonge au bord de son lit en rythme avec la ponctuation sourde de la hulotte, celle d’un rituel qui engendre la saison printanière pour réchauffer le vide immense laissé par l’hiver. Le fleuve a l’obstination d’un pivert, il scrute et creuse son devenir, se matérialise, se dématérialise avec l’étrange privilège instantané de sa source fraîche.
La Loire possède l’ivresse et l’insouciance de l’éternelle jeunesse, discrète, insondable, en toute indépendance, elle joue son répertoire lyrique. Légendaire, le long fleuve sauvage, limpide, en arc-en-ciel, avec son esprit espiègle, décortique son théâtre d’amour, héritage d’un royaume fait de souvenirs, d’aventure unique, de destin hélas parfois également tragique. La Loire traverse les siècles des siècles dans son énergie nucléaire.
La Loire s’habille pour un Opéra, se déshabille pour un Vaudeville ; avec respect, ses dentelles s’approchent doucement de l’estuaire entre deux mondes.
La Loire, grande prêtresse des oracles, divinité intouchable, où tout est à prendre au plus vite pour quitter l’ailleurs, miracle d’un soir, ce rendez-vous forme un tout qui offre les images éphémères des crépuscules aux eaux langoureuses.
La Loire promet des signes de vie, elle s’incline, s’acclimate, changeante au quotidien, évanescente dans la quiétude de son jardin d’Éden, elle est secrète, s’attache et se détache…
La Loire offre son coin de sable chaud à l’œuf de l’aigrette, de la poule d’eau, mais elle maintient ses distances avec l’humain et ne s’apprivoise qu’avec la patience du héron.
La Loire file parfois en humeur fantasque, mais douce, elle se met en couvert pour la nuit, là où se déploient les chauves-souris qui ne font que froisser les étoiles de l’éternité.
Michel Hannecart - Joux-la-Ville