L'ART ACADEMIQUE


De tout temps l'homme a aimé contempler un joli corps de femme, avec ou sans artifices.
Et le peintre, ou le sculpteur, aura toujours l'avantage sur le photographe de pouvoir regarder deux fois son modèle, de l'observer en nature et en train de se faire.
Dès lors, quoi de plus naturel que de se le représenter en peinture et l'artiste du XIXème siècle s'impose comme un incontestable spécialiste du genre. La femme a perdu ses formes avec l'arrivée de l'art moderne, les nus académiques, désormais jugés vulgaires, ont été mis à l'index. Doit-on continuer a en avoir honte ? La question semble redevenir d'actualité.

On entend généralement par "nu académique", d'abord un grand dessin abouti, ensuite une peinture ou encore une sculpture représentant un nu ou, rarement, plusieurs. L'académie se fait d'après un modèle vivant et c'est par ailleurs le nom donné aux cours de nu dispensé obligatoirement jusqu'en 1970 dans les écoles des Beaux-Arts. L'exécution du nu est soignée et naturellement toujours figurative. Les poses sont variées et la référence originelle à l'antiquité prendra avec le temps une importance toute secondaire.
De l'Antiquité en passant par la Renaissance, la représentation du corps a toujours occupé une place importante dans l'enseignement et le goût artistique occidental. Le dessin d'après modèle vivant devient d'ailleurs au XIXème siècle la dernière étape du cursus de l'école des Beaux-Arts.
Dès la Renaissance, l'anatomie, indissociable du nu, fait partie intégrante de l'éducation des artistes qui est dispensée par les académies, ancêtres de nos écoles d'art. Habituellement, l'apprentissage commence à partir du dessin d'après l'antique, complété par celui du modèle vivant et, dans la mesure du possible, par l'observation de la dissection des cadavres. Afin de mieux saisir toutes les subtilités de la morphologie humaine, du mouvement, des études préalables à la représentation de l'académie analysent en détail toutes les parties du corps avec une attention particulière concernant les muscles et les articulations.
Le nu académique lorsqu'il est dessiné peut parfaitement se suffire en lui-même, par contre la mythologie fournit en principe les thèmes de mise en scène du nu peint à travers : Apollon, Ariane, Persée délivrant Andromède, Diane et Actéon ou encore Mars et Vénus. La Bible constitue une autre source d'inspiration avec Adam et Eve, Loth et ses filles, David et Bethsabée, Suzanne et Joachim, les scènes de martyr… Initialement, les représentations de nus sont étroitement liées à la peinture d'histoire qu'elle soit antique, biblique ou mythologique. Au XIXème siècle, les orientalistes se distingueront avec des odalisques plus ou moins dévêtues sans oublier les scènes de Harem et de Hammam.

L'étude du corps se fait donc d'après nature mais aussi par copie des œuvres d'art antique que l'artiste débutant, à défaut de moulages, trouve dans des recueils de reproductions spécialement prévus à cet effet, et qui font office de manuels de morphologie. Dès sa création, l'école des Beaux-Arts fait référence à ces canons classiques qui constitueront la règle de son enseignement jusqu'au milieu du XXème siècle. A l'Ecole des Beaux-Arts de Paris mais aussi dans celles de province, un style et une personnalité dominent au XIXème siècle : le néo-classicisme et Jean-Auguste Dominique Ingres.
L'enseignement d'Ingres donnait comme modèle un idéal de beauté classique atteint par l'étude et la mise en forme fidèle des sources antiques, ce qui va de pair avec l'affirmation de la primauté du dessin sur la couleur, de la symétrie et de la clarté de la composition sur le mouvement. Les professeurs s'efforceront de maintenir cette tradition néoclassique.
Cependant, parallèlement, des artistes indépendants comme les réalistes, les impressionnistes, ou même certains "officiels", c'est-à-dire achetés par l'Etat et exposant avec succès au Salon, vont s'engager dans d'autres voies. Parmi ces voies, l'une d'entre elles se confondant avec l'académisme, connut un large succès à la fin du règne de Louis-Philippe, sous Napoléon III et la Troisième République, il s'agit de la mouvance dite éclectique. Ces partisans veulent s'inspirer de toutes les époques, de l'Antiquité, de l'Orient, du Moyen-Âge comme de la Renaissance, sans aucune hiérarchie, et reprendre dans leurs oeuvres les costumes, les décors, avec toute la précision archéologique nécessaire. Le nu ne sera donc plus forcément Vénus mais pourra devenir Cléopâtre ou Odalisque. Les artistes qui plaisent alors à la noblesse, à la haute bourgeoisie, à l'Etat, appartiennent surtout à cette tendance stylistique de l'éclectisme, que l'on nommera ensuite péjorativement et par dépit : l'art pompier.
Suivant un certain goût et sans négliger l'importance de la demande, la fin du XIXème et le début du XXème siècle atteindra un sommet dans la production de nus et la femme deviendra la plupart du temps le sujet central du tableau. Toutes les autres références - préfabriquées - ne seront finalement et probablement là que pour assoir l'alibi moral.


En 1850, les modèles sont alors couramment payés un franc de l'heure, c'est-à-dire environ trois euros d'aujourd'hui. Vers 1875, la pose ordinaire de quatre heures coûtera environ cinq francs pour les artistes mais seulement trois pour les écoles d'art, à la condition toutefois que celles-ci emploient le modèle régulièrement. La photographie, en passe de se démocratiser, commencera ensuite à concurrencer sérieusement les modèles vivants, au moins dans certains ateliers privés.

Une autre enquête datée de 1901 recense entre 800 et 850 modèles professionnels, très souvent d'origine italienne. Ils résident essentiellement dans les quartiers de Saint-Victor à Paris. Les femmes, de préférence avec des formes généreuses, sont alors payées cinq francs, 40 €uros actuels, pour une séance de quatre heures et les hommes, moins recherchés, quatre francs pour la même durée.

Selon l'expression d'alors, on ne trouve pas de cuisse de nymphe à moins de un franc de l'heure, alors qu'un Jupiter olympien peut se négocier autour de quinze sous, mais un modèle mâle pose à tout âge tandis que la beauté d'un modèle féminin est forcément éphémère. Les nobles vieillards à grandes barbes blanches restent toujours recherchés afin d'incarner quelques Dieux, alors que les femmes aux formes fluettes ou bien celles qui évoquent les rondeurs à la Rubens doivent nécessairement être assez jeunes.
Par ailleurs et pour la petite histoire, avant la séance de pose, il n'est semble-t-il pas rare de demander au modèle de bien vouloir faire un brin de toilette...

C'est le professeur, éventuellement le massier, qui détermine la pose du modèle, plus exceptionnellement des modèles, celle-ci peut être plus ou moins longue en fonction du cours - études rapides sous forme de croquis ou dessin académique plus poussé. La salle d'étude ou l'atelier est toujours munie d'un paravent avec peignoir afin que le modèle puisse se dévêtir en toute "pudeur" et hors des regards, une estrade ou une table tournante sans oublier un radiateur d'appoint avec parfois quelques éclairages complètent l'équipement.

Mis à part ces modèles professionnels qui prennent la pose dans les écoles et les ateliers privés des artistes afin de gagner leur vie ou, à défaut, arrondir leur fin de mois, il arrive que d'autres prêtent gracieusement leur concours. Ici, il s'agit la plupart du temps de l'épouse ou de la compagne de l'artiste qui se trouve mise à contribution, elle pose d'abord pour faire plaisir, parfois par amour, mais rarement par agrément. En effet tenir ladite pose sans bouger, au bout d'un certain temps, devient une opération des plus fastidieuse, désagréable même et les hommes qui se prêtent au jeu sont extrêmement rares. Force est donc de reconnaître que jusqu'à l'aube des Années-Folles et dans une moindre mesure après, l'art se conjugue essentiellement pour l'auteur au masculin et pour le modèle au féminin.

Jules Garnier 1873

Ce tableau semble bien représentatif du goût qui s'annonce pour la représentation de la nudité ostentatoire. Ici, il ne s'agit pas de la Vénus de Cabanel mais la pose est tout autant langoureuse.
L'artiste joue sur les contrastes et pense mettre en valeur le beau corps blanc de l'européenne par opposition à la présence des indiens à la peau noire.
Scène incongrue : Que fait-elle, que font-ils ici ? L'air nonchalant plus qu'hagard, elle regarde le spectateur, eux - les sauvages - l'observent médusés plus qu'admiratifs. A n'en pas douter, la référence à quelques faits historiques ou mythiques existe bel et bien mais le spectateur d'aujourd'hui - et peut-être aussi celui d'hier - l'ignore. Profanes, nous ne voyons qu'une belle femme allongée qui ne cache rien, pour notre plaisir sûrement et, finalement, que ferions-nous à la place des deux indiens ?
A noter, la calligraphie de la signature bien lisible et de grande taille, usage assez courant à l'époque.

Tony Robert-Fleury 1838-1911 - Le dernier jour de Corinthe, vers 1870
Huile sur toile 400 X 600 - Paris, musée d'Orsay

La femme devient fréquemment le thème central de l'oeuvre, sous forme d'allégorie ou, plus prosaïquement, dans sa vie quotidienne. Mais la peinture d'histoire ne disparaît pas totalement, elle continue à interpréter les événements qui ont marqué le présent et surtout le passé, aussi quand le sujet le permet, elle ne se prive pas de mettre en scène des nus. Le nu féminin, quel qu'en soit le prétexte, reste l'un des thèmes favoris du XIXème siècle et l'érotisme qui s'y rattache se distingue souvent dans la peinture d'histoire par des scènes de violence et de cruauté mais le martyr se doit d'être éternellement beau et digne.
Le monumental tableau de Tony Robert-Fleury, Le dernier jour de Corinthe, est un reflet plus romantique que crédible de la catastrophe. Pourquoi les jeunes femmes sont-elles dénudées, sortent-elles d'un lupanar ? Plus sûrement elles sont là pour plaire à tout un public d'amateurs - averti !

Paul Jamin (1853-1903), Le Brenn et sa part de butin, huile sur toile 162 x 118
La Rochelle, musée des Beaux-Arts

Il n'est pas certain que la scène ait un jour figuré dans les manuels scolaires - trop triviale, trop gauloise, qu'en penseraient les écoliers et les garçons surtout ! Pourtant, bien qu'idéalisé le Brenn avec sa part de butin, autrement dit le chef qui en plus de l'or et de l'argent se réserve de jeunes romaines brunes ou rousses, appétissantes à souhait et déjà prêtes, a probablement du exister. Notons que le fier gaulois avec son sourire satisfait et sa lance sanguinolente ne manque pas d'appétit.
"Rome est enfin prise. Tout ce qu'elle contient est aux Gaulois, tout : or, vin, femmes... Le Brenn ou Brennus, c'est-à-dire le chef est fatigué. Il a beaucoup tué, beaucoup incendié mais toutes ces femmes splendides, ces aristocrates lisses et parfumées sont à lui, il peut en faire ce qu'il veut, tout ce qu'il veut..." Cavanna, Nos ancêtres les Gaulois, Ed. Albin Michel

Dagnan-Bouveret 1852 1929 - Atalante victorieuse 1874 - Musée de Melun

Victorieuse ou pas, l'Atalante de Dagnan-Bouveret possède de belles fesses, bien rondes, et c'est sans doute vers elles que se dirigera le regard du spectateur. Le ruban orange assorti à la chevelure est pas mal non plus, et tant pis pour l'histoire !
Dans la mythologie grecque, Atalante est une héroïne présente dans deux traditions différentes.
Dans la version arcadienne, elle est la fille d'Iasos, roi du Péloponnèse. Comme Iasos ne voulait pas de fille, elle fut abandonnée à la naissance et recueillie paraît-il par une ourse dans la forêt du Pélion. Des chasseurs la trouvèrent et l'élevèrent ; elle devint une chasseresse redoutable. Elle fit, comme Artémis, vœu de virginité. Ainsi périrent sous ses flèches deux centaures, Hyléos et Rhoécos, pour avoir tenté d'abuser d'elle.
Dans la version béotienne, elle est la fille de Schoenée, fils d'Athamas. Son père souhaitant la marier, elle ne voulut prendre pour époux que celui qui pourrait la battre à la course ; ceux qui échoueraient seraient mis à mort. De nombreux prétendants moururent ainsi, jusqu'à ce que se présente Hippomène, qui aidé d'Aphrodite, laissa tomber dans sa course trois pommes d'or données par la déesse. Curieuse, comme bien des femmes, Atalante s'arrêta pour les ramasser et fut de cette façon devancée à l'arrivée. Mais après, comme la mythologie aime les suites dramatiques, les amants s'étant étreints dans le temple de Déméter, ils furent changés en un couple de lions attachés au char d'Aphrodite.

Marc-Verat@wanadoo.fr

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