LA PEINTURE ACADEMIQUE


Dans les encyclopédies d'art et jusqu'après l'ouverture du Musée d'Orsay, les chapitres réservés à la peinture académique sont étrangement sous-représentés ou même carrément absents. Leurs auteurs, lorsqu'ils parlent de la seconde moitié du XIXème siècle, ne considèrent que l'art romantique et réaliste, Manet et les impressionnistes. Ceux qui, hier et de leur vivant, ont été reconnus et adulés ont purement et simplement été rayés des cadres de l'histoire de l'art.

La caractéristique de l'art académique réside à la fois dans le fini des éléments peints très figuratifs et dans leur précision, cette conception se trouve à l'opposé de la théorie moderne où tout tend à s'abstraire et à se suggérer avec une finition souvent très secondaire. Cette conception est encore associée par dérision à un simple artisanat habile, soi-disant signe d'un manque de talent et d'originalité.
La peinture académique, émanation directe des règles strictes du classicisme et du néoclassicisme, constitue en quelque sorte l'antithèse exacte de l'art contemporain mais avec toutefois un point commun de taille :
- celui d'être ou d'avoir été soutenu par des instances officielles.
Et une différence d'importance :
- l'adhésion du public d'alors pour la peinture académique mais le rejet ou l'ignorance de l'art contemporain par le public d'aujourd'hui.

Le parallèle entre la situation des artistes officiels d'aujourd'hui, c'est-à-dire les "conceptuels-minimalistes", avec ceux du Second Empire et de la Troisième République, les "pompiers ou académiciens", est devenu incontestable et l'on peut parfaitement penser que cet "art contemporain", à l'image de l'art académique, connaîtra lui aussi un inévitable discrédit.
Par ailleurs, le dénigrement souvent entretenu de l'art académique et ses spécificités comme le métier, la tradition, la figuration extrême, servent de repoussoir et d'alibi à l'innovation pour l'innovation. Pour certains, il représente uniquement l'art de la bourgeoisie conservatrice, hostile à toute forme de changement ; mais on pourrait tout autant, voire davantage puisque peu populaire, qualifier l'art contemporain d'également très bourgeois.
A ce titre, la collection de l'homme d'affaires François Pinault, avec les oeuvres des derniers artistes à la mode comme Jeff Koons ou encore Damien Hirst, et composée surtout d'artistes américains minimalistes et conceptuels, ne synthétise-t-elle pas, à la caricature, le type même de la collection du bourgeois bien arrivé et pour le moins sous influence ? Il demeure néanmoins vrai que certaines libéralités fiscales, propre à la France, ne manqueront sans doute pas d'inciter quelques riches contribuables à flatter leur égo à bon compte, par exemple par la création d'une fondation.

Au XIXème siècle, la culture générale, réservée au faible pourcentage d'une classe d'âge qui possède le privilège de fréquenter les lycées, reste fondée pour une part essentielle sur les "humanités", à savoir l'apprentissage des langues anciennes, à travers lequel s'opère une imprégnation que l'historien Ernest Lavisse, qui conçut les plus célèbres manuels scolaires de l'époque, décrit en ces termes : "J'ai le sentiment d'avoir été élevé dans un milieu noble, étranger et lointain. J'ai vécu à Athènes au temps de Périclès, à Rome au temps d'Auguste..."
La finalité des études se fonde sur le discours et la dissertation, et en particulier le discours latin. Écrire un discours, le thème, c'est placer de nobles paroles dans la bouche de grands personnages : on ne peut faire tenir à Périclès ou à Dioclétien des propos vulgaires venus de la vie quotidienne. Seules de fortes sentences, empruntées aux textes étudiés en classe et illustrant les vertus antiques, sont dignes des recherches des futurs bacheliers.

Ce type d'apprentissage peut être rapproché à celui des jeunes artistes étudiant les Beaux-Arts, cette fois-ci non pas en vue du baccalauréat mais dans l'espoir d'obtenir un jour le Prix de Rome, couronnement des études dans la discipline et gage d'une reconnaissance sociale.
A l'Ecole des Beaux-Arts de Paris mais aussi dans celles de province, un style et une personnalité dominent à cette époque : le néo-classicisme et Jean-Auguste Dominique Ingres.
L'enseignement d'Ingres donnait comme modèle un idéal de beauté classique atteint par l'étude et la mise en forme minutieuse des sources antiques, ce qui va de pair avec l'affirmation de la primauté du dessin sur la couleur, de la symétrie et de la clarté de la composition sur le mouvement. Les professeurs s'efforceront de maintenir cette tradition néoclassique - appelée ensuite le système des Beaux-Arts - et l'essentiel du travail des étudiants consiste alors pour une grande part soit, à copier des plâtres antiques, soit à dessiner des modèles vivants aux pauses classiques avec drapé. Quant aux sujets des concours du Prix de Rome, ils sont très souvent choisis parmi la littérature gréco-romaine. Dans tous les cas, la statuaire antique reste considérée comme la référence où s'incarne l'idée du Beau.

Cependant, parallèlement, des artistes indépendants comme les réalistes, les impressionnistes, ou même certains dits "officiels", c'est-à-dire achetés par l'Etat et exposant avec succès au Salon, prirent d'autres voies. Parmi ces voies, l'une d'entre elles se confondant avec l'académisme, connut un large succès à la fin du règne de Louis-Philippe, sous Napoléon III et la Troisième République, il s'agit de la mouvance dite éclectique. Les artistes qui plaisent alors à la noblesse, à la haute bourgeoisie, à l'Etat, appartiennent surtout à cette tendance stylistique de l'éclectisme, nommé aussi par la suite péjorativement : l'art pompier.
Désireux de s'inspirer de tous les époques, de l'Antiquité, de l'Orient, du Moyen-Age comme de la Renaissance, sans aucune hiérarchie, et d'en reprendre dans leurs oeuvres les costumes, les décors, avec toute la précision archéologique nécessaire, ces artistes fondent leur art sur une doctrine : l'historicisme. Ils différent donc dans leur démarche des artistes néoclassiques travaillant dans l'esprit de l'Ecole des Beaux-Arts, dans la mesure où la source historique des oeuvres n'est plus forcément celle de l'Antiquité gréco-romaine. (1)

Avec ses Romains de la décadence, Thomas Couture, représentant de l'éclectisme, fait un triomphe au Salon de 1847. Il y reçoit la plus haute distinction, une médaille de première classe. Cette oeuvre ambitieuse que Couture a mis trois ans à terminer, s'approprie tous les critères de la peinture d'histoire pour faire allusion à la société française décadente de la bourgeoisie sous Louis-Philippe. Cette grandiose mise en scène qui oppose passé vertueux et vices contemporains marque aussi le point de départ chronologique des oeuvres du musée d'Orsay.
"Une heure avant l'ouverture du Salon, M. Couture n'était encore qu'un jeune homme d'avenir, le premier flot de foule qui s'est pressé devant son oeuvre l'a porté d'un jet sur la cime supérieure de l'art." Paul de Saint-Victor. (cf/ R.M.N.Orsay 96)

Inspiré d'un épisode tiré de la Bible, ce tableau aux dimensions monumentales fut un grand succès du peintre "pompier" Cormon au Salon de 1880. Il évoque les vers de Victor Hugo écrit en 1859 dans La Légende des Siècles : "Lorsqu'avec ses enfants vêtus de peaux de bête, échevelé, livide au milieu des tempêtes, Caïn se fut enfui devant Jéhovah..."
Cormon de son côté s’était créé une spécialité : la préhistoire. Cela lui valut un flot de commandes de l’Etat et à 25 ans il était déjà médaille d’or du Salon et à 35 officier de la Légion d’honneur. Devenu célèbre avec "La Fuite de Caïn", il fut un des peintres "Pompiers" qui eurent le plus grand nombre d’élèves et il eut le privilège de former certains des peintres les plus novateurs comme Toulouse-Lautrec, van Gogh, les Nabis, Matisse ou encore Picabia.

LE DESSIN ACADEMIQUE

De la Révolution aux années 1880
L'affrontement dessin linéaire ou géométrique et dessin d'art devient très sensible à partir des années 1860. De cet affrontement naîtra le dessin comme discipline scolaire dans l'école populaire.
Pour la tradition, le dessin du fait de ses rapports avec l'art était l'apanage des classes supérieures et de l'enseignement secondaire. Dans le primaire, le dessin (linéaire) sera dans un premier temps enseigné comme une langue rationnelle et universelle.
Les enjeux de l'affrontement dessin linéaire et dessin d'art sont théoriques : rapport du dessin à l'art, à la science et à l'apprentissage professionnel, mais aussi sociaux : à quelle fin le dessin ? Fin utilitaire pour former des ouvriers, fin libérale permettant l'accès de tous à l'esthétique, fin purement disciplinaire ? Et pour qui cet enseignement ?
Sous l'Ancien Régime et jusqu'au début du XIXème siècle, le dessin était un instrument de formation, de contrôle social et politique, artisanal et corporatif.

La Révolution avait déjà projeter de faire du dessin géométrique l'un des objets de l'instruction primaire : un enseignement utile, en rapport avec la géométrie et l'arpentage, utile aux arts et métiers et à l'industrie.
Dès les débuts de son enseignement, le dessin linéaire à quelque chose d'une méthode universelle, particulièrement bien venue aux prémices de l'école. Moyen de communication rationnel, il moralise et instruit. Il inculque des valeurs morales et esthétiques, apprend l'ordre, la discipline, la maîtrise du corps mais prétend aussi au sens du beau à travers l'éducation du goût, un goût néo-classique.
Il donne compétences graphiques et habiletés manuelles, développant l'œil mais surtout l'esprit, au sens de la faculté de juger.

Un arrêté de juin 1853 nomme alors une commission chargée de réorganiser l'enseignement du dessin. Elle est composée d'artistes réputés : Delacroix, Ingres, Messonier, Flandrin, et présidée par Ravaisson. La commission manifeste son inquiétude face à l'hégémonie du dessin linéaire. Toutefois, si un nouveau programme est mis en place pour le lycée, rien ne change dans les écoles primaires et les écoles normales.
A la suite de la fondation de l'Union centrale des beaux-arts appliqués à l'industrie, et après la première exposition en 1865, le sculpteur Eugène Guillaume publie un document important où il prône le retour au dessin linéaire et son extension à tous les niveaux d'enseignement.
En 1878 un arrêté ministériel entérine officiellement ce retour.
Dans les années 1880, le dessin géométrique finalement triomphe… Rendu obligatoire en 1890, il s'installe dans les écoles jusqu'à la réforme de 1909.

Cf/ Alain Kerlan, La politique éducative des arts.

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